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COMME DES ENFANTS

J’arpentais mon appartement, tentant d’éviter tous les objets entassés ici et là, me disant dans un éclair de lucidité qu’il allait falloir que je fasse le ménage. Ça et là, des vinyles côtoyaient des tasses de thé à l’abandon, des paquets de cigarettes vides regardaient avec envie la poubelle ouverte béatement dans le coin de la cuisine. Mais je n’avais pas le temps, j’avais rendez-vous au bar. Et puis j’avais toujours considéré que ranger était un perte de temps: pourquoi ranger alors qu’on pouvait rencontrer des gens, sortir, faire la fête, boire un verre en charmante compagnie, lire un livre passionnant, regarder un superbe film, s’envoyer en l’air, avoir une conversation passionnante avec un proche, aimer ceux qui nous entourent et tellement, tellement de choses encore. Ce soir, j’allais boire un verre en charmante compagnie.
Je connaissais Lullaby depuis la maternelle, je me souvenais de cette petite frimousse blonde et de ce sourire qui ne quittait jamais ses lèvres. Elle me rappelait un peu ma petite soeur décédée en quelque sorte. On avait une relation particulière, enfin, elle était particulière pour moi, parce qu’elle n’était pas du tout sexualisée. Comprenez ici: Lullaby aurait très bien pu être un mec, pour moi, ça aurait été pareil. On a fait des milliers de conneries ensemble, du pire au meilleur, on s’est faits punir à l’école, au collège, au lycée, et on s’est même retrouvés au poste de police une fois. Trouble à l’ordre publique nous avait-il dit. On lançait simplement des bombes à eau sur les passants, l’un deux l’avait mal pris et ça s’était mal terminé. Parfois, les gens qui nous observaient nous trouvaient totalement idiots et immatures: et ils avaient raison. Mais je m’en foutais, avec Lullaby, j’avais juste l’impression de récupérer un peu de mon insouciance, et je pouvais être qui je voulais, elle ne me jugeait jamais. Je savais qu’elle n’avait pas une histoire facile, notamment avec son frère parti à la guerre, et pour ça, on se comprenait, les relations fraternels très fortes.
Enfin, je me dirigeais vers la porte d’entrée après avoir revêtu un marcel gris, un gros gilet et un jean. Alors que je marchais en direction du bar, j’allumais une cigarette, je regardais les éclairages. J’adore la nuit, tout prend une autre dimension, tout est possible, il est même une certaine heure où c’est comme si demain n’allait pas exister. Lullaby m’attendait déjà devant l’entrée du bar, elle était jolie, je lui souriais et fonçais sur elle. « Voilà la plus belle! » et je la soulevais dans les airs en riant. J’étais content de la voir, et je savais que cette soirée allait encore nous révéler de belles surprises. « Comment ça va? »