Je suis née à Milan, le pays d’origine de ma chère mère. J’ai grandi là-bas, dans la grande villa familiale et le moins que l’on puisse dire, c’est que je ne me suis jamais ennuyée. Je lisais sur la table de jardin, ma mère était assise en face de moi, en train de feuilleter les pages du Elle magasine quand tout à coup, deux de mes frères firent leur entrée –enfin leur sortie plutôt-.
« Emy, rends-moi mon livre ! » Me mis-je à hurler lorsque Emrys s’empara de mon livre et le brandit fièrement tel un trophée. Ma mère soupira désespérément en ôtant ses lunettes de soleil pour lancer un regard noir à mon premier frère aîné.
« Emrys, rend-lui ça tout de suite ! » Elle avait un accent quand elle parlait maman. Jamais elle n’avait réussi à se débarrasser de celui-ci, il faut dire qu’elle n’avait jamais quitté l’Italie contrairement à nous. Emy se mit à taper des pieds en bougonnant :
« Seulement si Niko s’excuse pour avoir casser mon skate. » Ma mère n’avait jamais montré trop d’autorité. Mon père savait se faire entendre, elle, elle était beaucoup trop gentille, sans doute la seule chose que j’avais hérité de la famille Marcini. Jamais elle nous criait dessus et pourtant, mes frangins passaient leur temps à se chamailler alors que je me plaignais dès que quelque chose se ne passait pas comme je l’avais voulu. J’étais une pleurnicharde comme disait mes frères mais malgré cela, j’arrivais toujours à obtenir ce que je voulais.
« C’est pas moi c’est Sam qui l’a cassé ! » Intervint alors Nikola, le plus âgé d’entre nous. Samuel, c’était le plus petit, mon petit frère âgé d’un an de moins que moi. Je n’étais pas la plus jeune des enfants Everdeen mais, j’étais la seule fille du coup, j’étais la petite chouchoute de tout le monde pour ainsi dire et généralement, on s’en prenait à moi pour que l’autre capitule. Je me mis à pleurer, Emrys roulait des yeux, Niko gardait son regard sombre et ma mère se leva, bien décidée de se faire écouter pour la première fois.
« Vous allez vous calmer tous les quatre ou c’est chacun dans votre chambre ! » Samuel qui venait à peine d’arriver ne comprenait rien à ce qui se passait. J’arrachais mon livre des mains d’Emy et attrapais la main de mon plus jeune frère en tirant la langue aux deux autres avant de rentrer à l’intérieur. Nous étions un peu comme les quatre mousquetaires, unis quoi qu’il arrive mais, toujours en train de se tirer dans les pattes. On s’aimait d’un amour fraternel, se défendait dans toutes circonstances mais, nous nous faisions des coups bas dès que l’occasion se présentait. Everdeen un jour, Everdeen toujours.
Il est vrai qu’avec trois frères, je n’étais pas aidée. J’avais beau être considéré comme la petite princesse de la maison, dès qu’ils en avaient besoin, mes frangins n’hésitaient pas à venir se défouler sur moi en bouleversant mes plans, en piquant mes affaires ou simplement en me faisant une gentille blague comme je les détestais ! S’il y a bien une personne qui arrivait à me comprendre, c’était bien Mary, ma cousine. Nous avions seulement quelques mois d’écart et elle passait la plupart de ses vacances en Nouvelle-Zélande (là où j’ai déménagé à mon dixième anniversaire suite à la mutation de mon père), pour mon plus grand bonheur.
« Mary arrive ! » M’écriais-je dans le couloir qui menait à l’escalier principal. Je comptais descendre les marches de celui-ci lorsque j’aperçus Samuel encore emmitouflé sous sa couette. Je lui balançais un oreiller, bien décidée à le réveiller avant de m’en prendre à Emrys et Nikola.
« Lève-toi Samy, il est huit heure ! » Dans ma tête, ces mots sonnaient beaucoup mieux. C’est vrai que forcer tout le monde à quitter son lit à huit heure du matin un samedi…
« J’espère que tu te fous de moi Eliana sinon… » Je grimaçais et me mis à courir avant qu’il n’ait terminé sa phrase. J’allais ensuite ouvrir les volets d’Emrys, parce que je savais qu’il ne me dirait rien, c’était sans aucun doute de lui que j’étais la plus proche malgré nos deux ans de différence. Remontant sa couverture jusqu’aux oreilles, il soupira d’un air désespéré avant de marmonner :
« J’espère que tu réserves quelque chose d’horrible à Nik Eli sinon, je te jure que je vais te le fais payer. » J’haussais les épaules d’un air innocent avant de me rendre dans la chambre de mon troisième frère. Celui-là, j’allais pas le rater ! Nikola était sans doute le pire d’entre nous. Il allait sur ses dix-sept ans à l’époque mais mentalement, on lui en donnait trois. Toujours en train de faire des conneries, il n’en faisait qu’à sa tête sans se préoccuper des conséquences que cela pouvait entraîner. Monsieur avait décidé de ramener sa petite-amie du moment à la maison et, on ne peut pas dire que je l’aimais plus que ça cette blondasse. J’allumais la radio à fond avant de leur jeter une bouteille d’eau froide que j’avais pris la peine de mettre au frigo la veille. Contrairement au reste de ma famille, j’aimais que les choses soient organisées et prêtes à l’avance sinon, cela avait tendance à me frustrer plus qu’autre chose. Je détestais quand je perdais le contrôle et c’est ce qui arriva lorsque mon père vint nous rejoindre. Large sourire aux lèvres, je savais qu’il ne pouvait pas me gueuler dessus lorsque je lui présentais ma jolie bouille de chat potté, encore plus quand mon frère se trouvait en arrière-plan dans le même lit que sa copine.
Si on oublie la danse, la chose que j’aimais par-dessus tout, c’était sans aucun doute le défilé de mecs qui avait lieu en permanence chez moi. Le fait d’avoir trois frères, dont deux plus âgés, ce n’était peut-être pas si mal après tout. La plupart du temps, je traînais avec Emrys parce que Niko ne voulait pas de moi et que ses potes étaient trop âgés pour moi. Par contre avec Emy, c’était plutôt sympa et le petit nouveau qu’il ramena ce jour-là, il avait l’air… Différent. Si différent et étrange que je n’ai pas osé bouger ne serait-ce que d’un millimètre. J’étais plantée dans les escaliers, en train d’écouter ce qu’ils se racontaient, ne comprenant que la moitié de la conversation et je n’eus droit à aucun détail intéressant à son sujet. Le lendemain, c’est Isasha qui s’est ramené et bien entendu, je fus on ne peut plus dessus. Il n’était aucun que le meilleur ami d’Emrys et je crois qu’il passait plus de temps chez moi que chez lui, une sorte de seconde maison à ses yeux mais moi, je m’en foutais pas mal qu’il soit là, je voulais le mystérieux inconnu qui s’était présenté hier. J’attendis que mon frère s’éclipse pour rejoindre Isasha dans la chambre de ce dernier.
« Dis Isa, Emrys t’a parlé du mec qu’il a ramené à la maison hier ? » Il semblait perplexe et une seconde plus tard, un large sourire se dessina sur son visage. Il avait deviné où je voulais en venir et naturellement, cela ne m’étonnait pas plus que ça.
« Je peux me renseigner ! » Affirma-t-il en levant les yeux au ciel. Je savais que je pouvais compter sur lui pour n’importe quoi. Je me mis à sauter sur place avant d’embrasser sa joue.
« Tu viens de passer du statut de squatteur de première à grand frère préféré ! » Et le moins que l’on puisse dire, c’est Isa réussit sa mission à la perfection. Il s’appelait Caden, il avait le même âge qu’Emrys et Isasha mais, il avait une petite-amie et ça, ça c’était vraiment pas cool. Après quoi, j’ai dû jouer les pots de colle et participer à toutes les réunions entre potes que pouvait organiser mon frère juste parce que j’étais à la fois intriguée et folle de ce mec dont je ne connaissais quasiment rien et qui avait l’air de s’en foutre complètement de ma petite personne.
« Mais qu’est-ce que… » Commençais-je à m’énerver alors que je ratais mon saut à cause d’un idiot qui venait de couper ma musique pour je ne sais quelle raison. Je tournais la tête pour découvrir qui était l’auteur et ne fus que très peu surprise de découvrir Nikola.
« Niko remets, faut absolument que je termine avant demain matin, j’ai une audition et si je réussis pas je… » Oui, je m’énervais. D’une part parce que je détestais lorsqu’on m’interrompait alors que j’étais en pleine répétition de danse, d’autre part parce que je savais exactement pourquoi il était ici.
« C’est vraiment ce que tu comptes faire ? Tu vas t’enfermer dans cette salle jusqu’à ce que t’oublies ? T’oublieras jamais Eli et nous non plus ! T’es pas toute seule dans cette histoire, arrêtes de te renfermer comme ça. » Blablabla. Je venais de perdre mon frère. Mon propre frère était décédé dans un accident de voiture et je n’avais pas pu empêcher ça. Je n’ai même pas eu l’occasion de lui dire au revoir, qu’est-ce que je pouvais bien faire à part me réfugier dans ma passion, essayant de penser à autre chose l’espace d’un instant. Emrys a toujours été mon pilier, celui qui me conseillait, qui m’aidait quand j’en avais besoin et c’était également l’un de mes meilleurs amis. Je n’arrivais à me mettre en tête que plus jamais je verrais son sourire, que jamais plus je n’aurais droit à ses câlins matinaux et ses morales de grand frère trop protecteur. Oui, il me restait Nikola et Samuel mais aujourd’hui, j’avais également peur de les perdre. Je n’avais pas envie de souffrir de nouveau, je n’avais pas envie de dévoiler tout ce que j’avais sur le cœur, c’était dur à dire, dur à encaisser. J’avais perdu une moitié de moi et jamais plus je ne serais la même à présent.
« J’suis pas toute seule, Caden m’aide à traverser tout ça et… » Une nouvelle fois mon frère me coupa la parole et je n’eus d’autre choix que de l’écouter.
« Et il sait ce que t’es amoureuse de lui ? » Quoi ? Pourquoi il était au courant ? Non, je n’étais pas amoureuse de lui, je sortais avec un autre mec dernièrement… Jason il me semble, un truc du genre. Bref, on s’en foutait pas mal de son nom, ce n’était pas le principal. Mon frère était au courant du fait que je craquais pour Caden et ça, c’était vraiment embarrassant. C’était sûr en même temps, ça se voyait comme le nez au milieu de la figure et puis, Niko me connaissait par cœur, même si j’essayais de rattraper le coup, je savais qu’il m’avait calé :
« J’le suis pas ! C’est faux ! T’en sais rien d’abord, tu peux pas me comprendre ! Emrys aurait compris, il me comprenait toujours et… » Cette fois-ci, il m’aurait laissé finir seulement, petit à petit je prenais conscience du fait qu’Emy ne reviendrait plus jamais et je fondais en larmes dans les bras de mon aîné sans même essayer de me retenir.
« Il me manque ! » Caressant mes cheveux, me serrant un peu plus contre lui, il déposa un baiser sur le haut de mon crâne et je le serrais de toutes mes forces comme s’il pouvait s’envoler d’un instant à l’autre et m’abandonner à son tour.
« Il me manque à moi aussi... Et à Samuel. Mais on vient de perdre notre frère, on veut pas te perdre toi aussi. » Je crois que cet accident nous a rapprocher les uns des autres. C’est triste d’en être arrivé là après une telle chose mais, c’est bel et bien la vérité. Caden remplace en quelque sorte Emrys du moins, il s’efforce de me remonter le oral, de me changer les idées. Nikola est devenu le grand frère surprotecteur, toujours aussi fêtard mais beaucoup plus disponible. Samuel est devenu mon petit frère d'amour, celui que je m’efforce de sermonner la plupart du temps pour ses dérapages en tous genre. Je crois qu’on a jamais été aussi proches et complémentaires tous les trois. Je les aime bien plus que ma propre vie.
Sans vouloir me venter, j’ai toujours été parfaite. Gentille, à l’écoute, attentionnée, toujours prête à aider en cas de besoin, sociable comme personne, souriante et ce malgré mon côté peut-être parfois réservé et mystérieux. Amie fidèle, petite-amie sans doute un peu trop impliquée dans ses relations amoureuses et pour finir, une sœur qui répondait toujours présente et adorait donner des conseils en tout genre. Pour ce qui était des études, je dois que je me donnais à fond et recommençais jusqu’à ce que tout soit on ne peut plus parfait.
« Chagrin d'amour mon Samy ? » Questionnais-je Samuel en m’écrasant sur mon lit, lui tendant un morceau de mon cookie au passage. Bien sûr, je déconnais. Mes frères n’avaient jamais été de parfaits modèles côté cœur et j’espérais qu’un jour cela changerait car je savais qu’ils pouvaient être adorables s’ils s’en donnaient la peine. Ricanant face à ma remarque, il mangea le morceau de gâteau en soupirant :
« Les femmes sont trop compliquées ! » La phrase typique des hommes. Je réfléchis à peine quelques secondes avant d’hocher négativement la tête en me raclant la gorge :
« Non c’est faux, c’est vous qui compliquez les choses. On a juste besoin d’attention, d’amour, de respect et… Je crois que c’est tout. » En fait, je n’étais pas vraiment de bons conseils question relation amoureuse puisque toutes celles dans lesquelles j’avais eu le malheur de me lancer avaient été désastreuses. Tromperies, ennuis, connards de première, prétentieux, je crois que j’avais eu droit à peu près à tout et je n’avais toujours pas trouvé chaussure à mon pied.
« T’es la seule qui en demande si peu Eli et, je suis sûr que si t’avais seulement un des trois, tu serais comblée. » Je fis mine de ne pas savoir où il voulait en venir. Au fond, je rêvais du grand amour, du prince charmant. Oui, j’étais encore une petite fille, innocente, fragile et douce avec une pointe de caractère parce qu’il en fallait pour survivre dans ce monde.
« Bah il faut croire que j’en demande trop pour certains parce que je suis toujours célibataire je te rappelle. » Je préférais rire de la situation que de m’apitoyer sur mon sort, ce n’était pas vraiment mon genre. J’étais quelqu’un de plutôt positive, qui ne renonçait devant rien. Mon portable se mit à vibrer, j’ouvris le sms de Caden.
Un truc de prévu cet aprèm ? Un léger rictus se dessina sur mon visage alors que mon frère était en train de s’allumer un cigarette. Je lui lançais un regard noir or, rien ni personne ne pourrait gâcher ce petit moment de bonheur.
« Bon aller, va boire un verre avec tes potes, ramènes une inconnue à la maison et profite ! » Bah ouais après tout, on avait qu’une seule vie, il était hors de question que je gâche la mienne, que je reste enfermée dans cette maison à déprimer suite à la perte d’Emrys. Il aurait voulu que je profite, que je ne regrette rien et c’était donc ce que j’allais faire. Pour lui, pour ma famille mais aussi un peu pour moi.